Erwin Schulhoff
Cinq pièces pour quatuor
(Quatuor Voce, Lundi 11 août/Puy-Saint-Vincent, Salle Panoramic/18h)
Les « Fünf Stücke für Streichquartett » ou « Cinq pièces pour quatuor à cordes » sont une suite de cinq pièces musicales du compositeur tchèque Erwin Schulhoff. L'œuvre présente des similitudes stylistiques avec une suite de danses baroques et avec d'autres pièces de la Seconde École de Vienne. La pièce a été créée le 8 août 1924 au Festival de la Société internationale pour la nouvelle musique à Salzbourg, et a été dédiée à Darius Milhaud.
Chacune des pièces évoque un style différent de musique de danse.
- Pièce 1 : Valse viennoise
- Pièce 2 : Sérénade
- Pièce 3 : musique folklorique tchèque
- Pièce 4 : Tango
- Pièce 5 : Tarentelle
Robin Holloway a décrit l'œuvre comme une « parodie et un démystificateur », semblable aux œuvres ultérieures d'Aaron Copland et de Benjamin Britten.
Erwin Schulhoff, né en 1894 et décédé en 1942 au camp de Wülzburg où la tuberculose vint à bout de ses ultimes forces en plein cœur du mois d’août.
Schulhoff, compositeur tchèque, eut le tort d’être juif, d’être avant-gardiste et d’être communiste – trinité odieuse aux yeux des nazis qui – par Goebbels et par Rosenberg – avaient dessiné les contours d’une musique aryenne absolument hostile à toute extravagance. Ceux qui s’écartèrent du dogme furent muselés – au mieux – exilés parfois, exterminés enfin – on les appela les "compositeurs dégénérés".
C’est pourtant Antonin Dvorak, romantique échevelé, qui fut le premier à remarquer les dons du petit Erwin et à les encourager alors qu’il n’avait même pas dix ans. Il passe entre les mains de nombreux maîtres et s’imbibe de toutes les influences, il côtoie Debussy, Janacek, les Dada – tous marqueront son œuvre d’une manière ou d’une autre, mais aucun ne parviendra à le capturer tout entier.
L’ironie du sort veut qu’il finisse sur le front de la grande guerre où il sert avec courage les territoires qui -plus tard- extermineront leur propre vétéran. Blessé, il finit dans un camp, où il reprend des forces. Quand il sort des infirmeries éthérées et lourdes de hurlements et du bruit des scies sur les os, sa liberté l’invite à virevolter, il se passionne pour le jazz et entend bien marier la grammaire classique à cette grammaire nouvelle, largement diabolisée, car nègre et donc dégénérée. Raccourci qui stupéfie nos oreilles contemporaines et qui rappelle, dans une autre logique, ce qu’Umberto Ecco faisait dire au franciscain Ubertin de Casale à propos d’un jeune moine : " il y avait dans son regard quelque chose d’efféminé et donc de diabolique ".
La pièce qui nous occupe est une sorte de réjouissant fourre-tout, c’est – à l’échelle de la cosmétique – l’équivalent du sac à main d’une dame : on y trouve tout, dans tous les sens, sans jamais finalement y trouver rien et on prend plaisir à en inventorier les artefacts comme dans un cabinet de curiosités qui sentirait le patchouli. Son titre, pourtant est parfaitement sobre : Cinq pièces pour quatuor à cordes.
Schulhoff qui souhaitait que l’art absolu tende vers un état de révolution permanente, avait trop de charme et d’humour pour s’inscrire réellement dans une lutte esthétique. Laquelle l’aurait poussé à l’oukase et à l’excommunication. Il était au contraire l’anti-dogmatique étalon, le nonchalant génie qui se laisse emporter avec grâce par les eaux clapotantes et kaléidoscopiques des courants musicaux des années 20. C'est un peu ce que soulignera Olin Downes, critique du New York Times à propos de ces cinq pièces : " Souplement élancées et techniquement admirables. L'œuvre d'un jeune compositeur face à un auditoire ravi d'avoir découvert un créateur dont la moindre des qualités n'est pas de se prendre trop au sérieux. "
Camille De Rijck