Robert SCHUMANN

Sonate n°1 pour piano en fa dièse mineur op. 11 

 

(Arielle Beck, Mardi 12  août/Puy-Saint-Vincent, Salle Panoramic/18h)

 

 

Schumann avait 21 ans lorsqu’il songea à composer une grande sonate pour piano. Comme il l’écrivit à sa mère le 31 décembre 1831 : « J’ai entrepris une œuvre de géant qui absorbe toutes mes forces ». Malgré l’épisode de ses courtes fiançailles avec Ernestine Von Fricken, cette sonate ne prit vraiment forme qu’au moment où son amour pour Clara put se déclarer, c’est-à-dire deux ans après. Il la termina en 1835 et l’envoya à celle qu’il aimait avec la dédicace suivante : « Sonate op.11, Clara zugeeignet, von Florestan und Eusébius (pour Clara, de Florestan et Eusébius)».

                                                    

Mais le père Wieck, qui ne voulait pas de Schumann comme gendre, mettait avec quelque férocité le maximum d’obstacles entre les deux jeunes gens. Il exigea même que sa fille rompe avec Robert, lui renvoie ses lettres et même cette sonate qu’il lui avait dédiée. Il n’empêche que la prodigieuse pianiste qu’était Clara la joua souvent au cours de ses tournées européennes et qu’elle fut, tout comme les « Etudes Symphoniques » l’un des liens qui les rattachaient l’un à l’autre pendant ces six années de luttes désespérées qui s’écoulèrent avant leur mariage. Il faut aussi rappeler que le grand Liszt aimait aussi la jouer et qu’il le faisait avec un brio, une fantaisie, une originalité qui séduisaient toujours son auteur chaque fois qu’il l’entendait interpréter par le Hongrois.

 

Cette sonate, avec ses mouvements divers, sans véritables développements, avec cette succession de tempi et de tons différents, apparait comme le reflet chatoyant ou fantastique, tendre ou passionné, rêveur ou frémissant, de sa propre vie sentimentale. Il n’est pas non plus indifférent de remarquer que cette œuvre dédiée à Clara par « Florestan et Eusébius » reflète la dualité interne que se reconnaissait Schumann (l’impétuosité poétique de Florestan et la mélancolie tendre et rêveuse de Eusébius) par ces deux pseudonymes qu’il s’était choisis.

 

La sonate comprend quatre mouvements :

  • Introduzione (un poco adagio) - Allegro vivace
  • Aria (en la majeur): Quarante-cinq mesures indiquées senza passione ma espressivo
  • Scherzo: Allegrissimo (en fa dièse mineur) - Intermezzo (lento, alla burla ma pomposo) – Tempo 1
  • Finale: Allegro un poco maestoso

 

Le premier mouvement débute par une Introduction à 3-4 « un poco adagio » qui sonne un peu comme une longue interrogation. Sur une succession ininterrompue de triolets arpégés, en général confiés à la main gauche, se détache une ample ligne mélodique chantée en général par la main droite. Ensuite, après un long point d’orgue, l’ Allegro Vivace attaque sur une mesure 2-4, ce rythme fougueux et obsédant, formé par la succession de deux doubles-croches, une croche  - deux doubles-croches, une croche (qui n’est pas sans évoquer une chevauchée) interrompue de temps à autre par une série d’accords à l’unisson. Une subite modulation à mi bémol mineur ne change rien à ce rythme qui persiste même dans la partie marquée « Più Lento », qui nous ramènera, pour un temps, à la tonalité initiale. D’autres modulations, d’autres changements de tempi varieront quelque peu le discours, mais sans s’écarter de la rythmique fondamentale.

 

Le deuxième mouvement, intitulé Aria, est sous-titré « senza passione, ma espressivo ». Il est à 3-4 et en la majeur. C’est une espèce de Romance sans paroles qui doit beaucoup, probablement, à l’admiration que Schumann portait à son ainé d’un an, Mendelssohn. L’unique thème s’entrelace avec celui de l’introduction dans un sentiment très poétique.

 

Le troisième mouvement, Scherzo, reprend la tonalité en fa dièze mineur. Il mérite bien son nom, d’après Marcel Schneider, qui ajoute « cocasse, plein d’humour, burlesque même, il dépeint une scène de rue insolite et charmante, un montreur d’ours peut-être ou bien quelque Esmeralda dansant avec sa chèvre ».

 

Fait suite alors, au lieu du Trio réglementaire, un Intermezzo étonnant en ré majeur de tempo « Lento », mais avec les précisions « Alla burla, ma pomposo ». On y retrouve partiellement la rythmique du premier mouvement agrémentée de triples croches et de noires pointées. Puis, après deux reprises, trois lignes « ad libitum » sans aucune barre de mesure, terminées par une grande gamme ascendante aux deux mains allant jusqu’à un point d’orgue, ramènent au tempo 1, ce qui clôt le mouvement.

 

Le Finale, allegro un poco maestoso, est d’une longueur démesurée. La verve du jeune Schumann se manifeste par un grand nombre de thèmes différents jetés pêle-mêle, sans souci de la « Durchführung » chère à Beethoven. Les modulations et les changements de tempo sont fréquents et l’œuvre se termine d’une manière inattendue en fa dièse majeur.

 

D'après la Société de Musique de Chambre de Marseille